Comment exprimer et appréhender des sujets scientifiques complexes tels que la notion de conscience de soi? Une des réponses se trouve peut-être à la frontière de l’art et de la science. Du 25 février au 1er mars, l’EPFL ArtLab accueille l’Immersive Lab, un espace interactif multisensoriel ouvert aux visiteurs.

On dirait mes mains, sur cet écran panoramique. Ou peut-être pas? Être confronté à soi-même, au beau milieu d’un univers visuel, sonore et interactif unique, c’est une des expériences que propose l’Immersive Lab à l’EPFL.

Destinée à explorer le potentiel des médias interactifs et immersifs, cette installation a été développée par Daniel Bisig et Jan Schacher, chercheurs à l'Institut d'informatique musicale et de technologie du son de la Haute École d’art de Zurich. Elle était initialement utilisée par des artistes comme plateforme de création et d’expérimentation. En 2019, l’équipe d’Immersive Lab a élargi son champ d’action en lançant des projets avec des scientifiques de l’EPFL et de l’Université de Genève. Ces collaborations ont été réalisées dans le cadre d’un projet Agora du Fonds National Suisse (FNS), afin de promouvoir le dialogue entre les scientifiques et la société.

Communiquer le ressenti subjectif

Du côté de l’EPFL, les chercheurs du Laboratoire de Neuroscience Cognitive (LNCO) d’Olaf Blanke se sont prêtés au jeu en développant la pièce Corps multiples, super egos et moi virtuel. Conçue comme un miroir magique, elle permet au visiteur d’expérimenter des sensations inhabituelles provoquées par les illusions corporelles. «Quand je me regarde dans le miroir et que je bouge, mon reflet bouge également. C’est la façon dont mon corps cartographie l’autoreprésentation», explique Olaf Blanke, titulaire de la Chaire Fondation Bertarelli de neuroprosthétique cognitive. Mais dans l’installation, les distorsions de temps, de taille et la dimension multi-utilisateurs compliquent les choses. «Je vais bouger d’un côté et ce qui semble être mon reflet va bouger ailleurs ou avec un certain retard. C’est très perturbant», ajoute le scientifique.

Cette œuvre fait écho aux recherches menées au sein de son Laboratoire, qui consistent à mieux comprendre les mécanismes cérébraux impliqués dans la perception et la représentation de notre propre corps, en développant des modèles neuroscientifiques de la conscience de soi. «Un texte ou une image ne permettent pas de saisir toutes les dimensions de nos recherches. Il faut en faire l’expérience, pour vraiment se rendre compte de quoi il s’agit», dit Bruno Herbelin, chercheur au Laboratoire de Neuroscience Cognitive. «Le but est de faire ressentir au visiteur, l’espace d’un instant, une sensation d’étrangeté de soi».

Un dialogue constructif

Afin de permettre au grand public d’appréhender un tel sujet de manière plus tangible, l’Immersive Lab mise sur une interdisciplinarité qui, en incluant l’art, va au-delà d’une collaboration entre scientifiques de différentes disciplines.

Pour Daniel Bisig, cela permet d’avoir une meilleure vision des processus cognitifs impliqués dans la compréhension d’une œuvre et de les exploiter afin d’obtenir un certain comportement. «Dans le milieu artistique, ce type de savoir-faire n’est pas systématique, on se base plutôt sur une expérience personnelle», confie l’artiste. Pour lui, les scientifiques y trouvent aussi leur compte: «Puisque notre travail ne dépend pas de règles strictes, nous avons plus de place pour des idées non conventionnelles qui parfois, dépassent le cadre scientifique et donnent naissance à de nouvelles perspectives chez les chercheurs avec qui nous travaillons».

Un enrichissement mutuel, donc. Olaf Blanke et ses collègues n’en sont pas à leur première expérience puisqu’ils ont accueilli des artistes en résidence à plusieurs reprises. Ainsi, au-delà des applications médicales, les implications éthiques et sociétales de leurs recherches trouvent un écho dans le travail artistique, qui peut à son tour ouvrir le débat avec le public.

«Ce qui est vraiment intéressant, c’est de voir que la pièce est une symbiose entre art et science», s’enthousiasme Daniel Bisig. «Aucun de nous n’a eu à abandonner ses idées!»

Expérimenter le champ des possibles

Le Laboratoire de Neuroscience Cognitive a été pionnier dans l’utilisation des médias numériques tels que la réalité virtuelle afin de mettre au point de nouveaux diagnostics et thérapies pour les patients souffrant de troubles cognitifs, psychiatriques ou physiques. «Nos observations sont habituellement réalisées sur des sujets qui ont bien conscience de participer à une expérience scientifique», dit Bruno Herbelin. «On peut se demander si, dans un contexte plus libre tel que l’Immersive Lab, on pourrait faire face à des comportements plus spontanés et faire des observations plus proches de la réalité.» En ce sens, une installation artistique pourrait faire office de laboratoire ouvert qui permettrait de questionner une population plus hétérogène.

Au-delà de l’expérimentation, les nouveaux outils tels que les shows immersifs ouvrent tout un champ d’exploration en ce qui concerne la communication scientifique. Pour Anne-Gaëlle Lardeau, responsable de ArtLab, «l’idée, ce n’est plus que les visiteurs apprennent quelque chose, c’est de créer une émotion qui leur donne envie d’en savoir plus sur le sujet».

 

L’exposition est accessible gratuitement, librement ou sous forme de visites guidées, du 25 février au 1er mars 2020.

Les œuvres présentées sont: Connect (par Simon Schaerlaeken et Donald Glowinski), Multiple Bodies, Super Egos & Virtual Selves (par Simon Schaerlaeken, Bruno Herbelin, Oliver Kannape, Jan Schacher, Daniel Bisig), Coexistence (par Nadine Cocina et Romana Sprenger), Seen (par Célia Bétourné et Louis Cortes), Les Mains Négatives (par Anne Dubos et Jan Schacher).

Le 27 février, les membres de l'équipe du projet et des experts des arts médiatiques, des sciences cognitives et de la muséologie se réuniront pour un débat sur les avantages et les défis de l'utilisation des technologies des médias numériques dans l'art, la recherche et la diffusion. Plus d’informations ici.

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